Université de Yaoundé I

Création d’une collection d’œuvres littéraires camerounaises traduites
Jan 30 2003 - mars 25 2024
Hector Kamdem
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Description du projet

Le « problème Anglophone » aura sans doute été l’un des évènements socioculturel et politique marquant de cette décennie au Cameroun. Ce mouvement de contestation dont l’épicentre est la partie dite anglophone du Cameroun a fait ressurgir ou apparaître, en zone anglophone comme en zone francophone, des termes et expressions comme « Southern Cameroons », « West Cameroon », « La République du Cameroun », « Ambazonia », « culture anglophone/culture francophone », « sécession », etc. Chacun de ces termes et expressions revêt une charge notionnelle et idéologique qui témoigne, s’il en est encore besoin, de la cassure identitaire qui s’exprime aujourd’hui au Cameroun principalement en termes du distinguo quasi-manichéen, anglophone/francophone. Pourquoi l’identité camerounaise est-elle en effet devenue si « malheureuse »[1] ? L’unité et la cohésion nationale sont-elles en péril ? Que sera sera !

 De ce tableau peu reluisant, « l’urgence de la pensée » se fait plus que jamais ressentir. Le proverbe anglais « the pen is mightier than the sword[2] » ne retrouve-t-il pas dans cette veine la plénitude de son sens ? Chaque intellectuel et professionnel camerounais ne devrait-il pas selon sa formation et ses compétences propres rendre service à la nation en trempant sa plume pour proposer des solutions pratiques et opérantes en vue de réparer ces fissures au fondement à la fois social, culturel, politique et historique ?

Cependant, nous assistons à des coups de gueule et querelles sans fin entre anglophones et francophones, entre intellectuels et hommes politiques de tous bords. Chacun pense avoir une meilleure connaissance et lecture de l’histoire du pays. Des accusations de mauvaise foi se font de part et d’autre. Ce dialogue de sourds fait courir au moins deux risques à la société camerounaise. Premièrement, il y a un risque d’essentialisation identitaire au Cameroun. Est « anglophone » celui dont les parents sont géographiquement originaires des régions du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun. N’est pas « anglophone » le Camerounais qui est né dans ces régions, a fait ses classes dans le sous-système éducatif anglophone, parle couramment les langues de ces régions, y compris le pidgin-english et l’anglais, mais dont les parents sont originaires « d’ailleurs ». Dans cette forme d’imaginaire identitaire, il est quasi impossible pour un non-anglophone de devenir anglophone, comme le fils ou la fille d’un Camerounais deviendrait allemand s’il ou elle naissait en Allemagne en acquérait la culture, le mode de vie et la nationalité ! Deuxièmement, nous courons un risque d’autarcie identitaire, corollaire de l’essentialisation identitaire. Les identités anglophones et francophones deviendraient ainsi étanches et échapperaient à toute forme d’enrichissement mutuel. L’enrichissement mutuel cèderait ainsi le pas au poison des idées reçues et des clichés. Les identités linguistiques d’emprunt colonial s’érigeront de fait en identités quasi-ethniques. Les clivages continueront de s’installer et de s’exprimer dans des paroles qui prennent des formes aussi basiques que, « les bamenda… », « nous les anglophones… », « vous les francophones… », « les anglophones sont…les francophones sont », etc.

Toutefois, il nous semble clair qu’aucune communauté, qu’aucun pays ne peut s’accommoder de l’insularité culturelle ou identitaire. Surtout pas le Cameroun ! L’avenir bénéfique du Cameroun reste et demeure dans sa mixité, dans sa mosaïque de cultures, dans la cohabitation effective et non la simple juxtaposition de deux communautés linguistiques qui forment au demeurant un seul peuple, le peuple camerounais.

De fil en aiguille, il nous incombe d’établir des passerelles, de créer des espaces communs entre communautés anglophones et francophones au Cameroun. C’est dans cet ordre des choses qu’est né ce projet de création de collection d’œuvres littéraires camerounaises traduites. Cette collection aura pour nom, Collection en passant le Moungo / Across the Mungo Series. Ce nom fait écho au pont du Moungo, célèbre point de rencontre entre l’ex Cameroun oriental et l’ex Cameroun occidental. Nous aurions de la même manière pu nommer cette collection, « Babadjou-Santa », pour faire référence à une autre frontière pas moins connue entre l’ex Cameroun anglophone et l’ex Cameroun francophone ; la frontière Babadjou-Santa. De toute évidence, nous avons opté pour la première désignation parce que l’image du pont nous paraît plus porteuse de sens. Tout d’abord, le fleuve Moungo ne change pas de nom d’une rive à l’autre. De surcroît, le pont qui traverse ce fleuve n’est-il pas le trait d’union par excellence entre les deux parties du Cameroun ? Vu le contexte Camerounais actuel, nous choisissons de mettre en avant les rencontres, les retrouvailles, et au demeurant les ponts. Il nous paraît contreproductif d’insister sur des frontières et découpages géographiques dont nous contestons d’ailleurs la pertinence actuelle. En somme nous comptons établir des passerelles ; « Wissen schafft Brücken »[3], dit-on en allemand.

Dès lors, la Collection en passant le Moungo/Across the Mungo Series tire son inspiration du postulat suivant : la traduction et la retraduction des œuvres littéraires camerounaises tant d’expression anglaise que française, et partant l’introduction de celles-ci dans notre système éducatif, participe de la logique de décloisonnement linguistique de notre littérature et au demeurant de la redynamisation du vivre ensemble en péril au Cameroun.

C’est cette capacité qu’a l’œuvre littéraire traduite ou retraduite à susciter le débat constructif sur le vivre ensemble, à enrichir les perspectives culturelles de part et d’autre et ultimement à servir de pont mobile entre deux rives que ce projet de création d’une collection d’œuvres littéraires camerounaises traduites s’attache à explorer. Ce document se présente en trois parties, correspondant à trois grandes interrogations au sujet de l’apport de l’œuvre littéraire camerounaise traduite, non seulement en temps de grogne sociopolitique et identitaire mais aussi dans une société camerounaise pérenne, à la construction d’une identité culturelle plus camerounaise que francophone ou anglophone.

Ce document se présente en trois parties. La première partie présente le cadre légal et institutionnel dans lequel sera mis en œuvre ce projet. Dans la deuxième partie, nous nous pencherons sur la nécessité de traduire et de retraduire les œuvres littéraires camerounaises. Enfin, en troisième partie, le parcours de traduction, de retraduction et d’insertion des œuvres littéraires traduites dans le système éducatif camerounais sera passé en revue.

PREMIÈRE PARTIE

 

Du Cadre Politico-Légal

 

Ce projet est en phase avec

Question : Comment notre travail à nous se situe-t-il dans la politique publique du ministère ? (Vos travaux s’inscrivent donc tout à la fois dans la politique publique du ministère)

L’enseignement des œuvres anciennes ou d’origine étrangère est inscrit dans les programmes scolaires. Il se voit renforcé par la définition du socle commun de connaissances et de compétences inscrit dans le Code de l’éducation, tant dans sa partie législative (Loi d’orientation pour l’avenir de l’École) que dans sa partie réglementaire (décret du 11 juillet 2006). (Qu’en est-il du Cameroun ?)

Par ailleurs, une réflexion est en cours sur l’articulation et l’intégration des différents piliers de ce socle dans les programmes. Pour le pilier V, consacré à la culture humaniste, à laquelle ressortit largement le sujet de vos travaux, (Quelle réflexion pouvons-nous mener au Cameroun ?)

Qui donc des genres suivants : aussi des auteurs de littérature de jeunesse, de science-fiction ou d’aventures

Le socle commun valorise cette culture humaniste :

« Les élèves doivent être préparés à partager une culture européenne « Culture camerounaise

– par une connaissance des textes majeurs de l’Antiquité,

– par une connaissance d’œuvres littéraires, picturales, musicales, théâtrales, architecturales, cinématographiques majeures du patrimoine français, européen et mondial.

[…]

Cette culture humaniste permet de donner aux élèves des références communes et de favoriser une vie culturelle personnelle, et l’aptitude à la curiosité.

Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme (décret 2017/013 du 23 janvier 2017)

Commission est un orga ne consultatif doté de la personnalité mora le et de l’autonomie financiére.

CHAPITRE Il DES ATTRIBUTIONS

ARTICLE 3.- (1) Sous l’autorité du Président de la République, la Commission est chargée d’œuvrer à la promotion du bilinguisme, du multiculturalisme au Cameroun, dans l’optique de maintenir la paix, de consolider l’unité nationale du pays et de renforcer la volonté et la pratique quotidienne du vivre ensemble de ses populations

LOI N°98/004 DU 4 AVRIL 1998 D’ORIENTATION DE L’EDUCATION AU CAMEROUN

Article 3 : L’Etat consacre le bilinguisme à tous les niveaux d’enseignement comme facteur d’unité et d’intégration nationales.

Article 5 : Au titre de la mission générale définie à l’article 4 ci-dessus, l’éducation a pour objectifs : 1. la formation de citoyens enracinés dans leur culture, mais ouverts au monde et respectueux de l’intérêt général et du bien commun; 2. la formation aux grandes valeurs éthiques universelles que sont la dignité et l’honneur, l’honnêteté et l’intégrité ainsi que le sens de la discipline; 3. l’éducation à la vie familiale; 4. la promotion des langues nationales; 5. l’initiation à la culture et à la pratique de la démocratie, au respect des droits de l’homme et des libertés, de la justice et de la tolérance, au combat contre toutes formes de discrimination, à l’amour de la paix et du dialogue, à la responsabilité civique et à la promotion de l’intégration régionale et sous-régionale; 6. la culture de l’amour de l’effort et du travail bien fait, de la quête de l’excellence et de l’esprit de partenariat; 7. le développement de la créativité, du sens de l’initiative et de l’esprit d’entreprise; 8. la formation physique, sportive, artistique et culturelle de l’enfant; 9. la promotion de l’hygiène et de l’éducation à la santé

Qui ? -d’universitaires, d’inspecteurs pédagogiques régionaux et de professeurs

Antoine Berman, « La retraduction comme espace de la traduction », Palimpsestes [En ligne], 4 | 1990, mis en ligne le 22 décembre 2010, consulté le 18 décembre 2016. URL : http:// palimpsestes.revues.org/596

– universitaires, des professeurs de l’enseignement secondaire, des chercheurs et des pédagogues

-Il me semble que nous ne pouvons pas travailler sans l’université.

  1. Arguments : Cependant, les professeurs sont invités à donner à lire aux élèves des textes traduits, parce que nous voulons – j’insiste sur ce point – montrer que notre enseignement littéraire ne se résume pas au seul domaine français. Le domaine gréco-latin, comme le domaine européen et d’autres littératures, sont également importants et dignes d’être lus et abordés en classe.
  2. Il faudrait mener une réflexion sur la qualité même des textes à traduire.
  3. Choisir les œuvres ou de rénover les programmes
  1. Enseigner les œuvres littéraires en traduction
  1. Participation à des ateliers abordant les problématiques scientifiques et pédagogiques de la traduction littéraire
  • TRADUCTION
  1. RETRADUCTION

Questions :

-groupe d’experts

Arguments : La traduction littéraire est d’une grande importance dans la démarche d’enseignement, car les œuvres anciennes et étrangères permettent de découvrir un patrimoine littéraire et artistique, de distinguer et de comprendre les fondements des différents genres, d’apprécier leur renouvellement. À tous les niveaux de la scolarité, ce patrimoine est l’objet et le sujet d’un enseignement auquel les programmes accordent de plus en plus de place.

TAF : Dresser une liste 1. D’œuvres au programme qui sont en effet des traductions. 2. Faire un inventaire du ratio auteurs non-camerounais / auteurs camerounais dans nos programmes scolaires de la sixième en Terminale et de Form One à Upper Sixth

TAF : documents d’accompagnement proposent en annexe des listes d’œuvres classées par genre. Vos travaux permettront certainement de les renouveler.

Question : 1. Quelles sont les œuvres littéraires destinées à l’étude ?

Au travers des ateliers, c’est la diversité des choix qui transparaît. Seront abordés les monuments de la littérature européenne et classique, des œuvres qui incarnent le génie universel, avec Goethe,

Cervantès ou Dante.

*** La responsabilité pédagogique Dans ces monuments culturels, les équipes pédagogiques puisent pour répondre à la diversité des âges et des parcours, et à la responsabilité pédagogique de chaque enseignant et chercheur.

***ll s’agit de réfléchir au statut de ces œuvres : l’OLT est une œuvre littéraire à part entière. Le doyen évoquait les fautes de traduction : libertés ou purisme ? Ce qui est proposé aux élèves n’est pas une suite de mots et de sons tirée d’un logiciel de traitement de texte avec des résultats déconcertants sur le plan esthétique. Le travail de traduction consiste dans le transfert de la dimension esthétique d’une œuvre d’une langue à l’autre et d’une culture à une autre.

Il faudra donc débattre sur cela même qui es

t transféré, la qualité artistique de l’œuvre initiale, éventuellement trahie, mais aussi recréée

*Argument : les méthodes et les outils de la littérature comparée interviennent peu dans le recrutement et la formation des enseignants du secondaire, surtout au niveau du collège.

***Théorie***

D’examiner si le texte traduit évitait l’étrangeté (l’écart par rapport à la norme de la langue cible) tout en conservant l’aspect étranger de l’œuvre originale

Travailler, faire travailler sur des œuvres en traduction n’est donc en aucun cas une solution de facilité ou une marque de renoncement, au contraire : c’est faire face à l’exigence de poser de multiples questions à des textes qui, d’une manière ou d’une autre, manifestent une part d’étranger.

Les ateliers du séminaire sont l’occasion de ce qui a été appelé manipulation

: manier des textes, se demander pourquoi telle forme, telle expression a été employée, s’interroger sur la pertinence de tel terme ou de telle formule. Des questions qui peuvent, dans un premier temps, sembler des points de détail ouvriront peut-être des débats : par exemple, si on utilise une édition bilingue (ce qui n’est nullement une condition nécessaire ou suffisante !), observer sur quelles pages se trouvent, respectivement, le texte original et le texte traduit : lequel des deux est en « belle page », c’est-à-dire sur la page de droite, normalement affectée d’un numéro impair ? Faire lire une œuvre traduite conduit à poser la question des conditions de lecture.

– en premier lieu, permettre une formation et une information mutuelles. Dans le bref espace de temps que constituent ces deux jours, nous aurons l’occasion de discuter et d’échanger, sans concession préalable et sans préjugés. Nous savons tous que les questions les plus simples sont souvent celles qui posent en réalité les problèmes les plus fondamentaux ;

– en second lieu, synthétiser les débats et les discussions pour pouvoir donner lieu, le plus rapidement possible, à des actes, qui permettront de prendre connaissance du travail mené dans tous les ateliers ;

– à plus long terme, envisager la création de sites dédiés aux œuvres littéraires en traduction ; ils regrouperaient des dossiers sur ces œuvres, ainsi que les problèmes que leur étude soulève (par exemple : choix de telle ou telle traduction, suggestion de tel exercice, intérêt de la confrontation avec telle traduction dans une autre langue…). Ces sites devraient pouvoir se mettre en place assez vite, car nous disposons déjà de travaux dans ce domaine ; ils pourraient notamment servir de chambres d’écho pour les exercices à proposer aux élèves et aux étudiants, ainsi qu’aux candidats aux concours de recrutement.

Goethe loua comme très réussie cette traduction […] quoiqu’elle fût en prose pour la majeure partie. En allemand, dit-il, je n’aime plus lire

Faust, mais dans cette traduction française, tout reprend fraîcheur, nouveauté et esprit

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C’est concevoir la traduction non comme une simple reproduction de l’original, mais en tant que production d’un versant de l’œuvre que seule la traduction fait apparaître : l’intraduisible n’est plus alors un frein, mais un moteur, non plus un ergon, mais une energeia, dirait Wilhelm von Humboldt

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.

La traduction d’une œuvre littéraire apparaît alors comme ce qu’elle est, à savoir un fait littéraire, comme l’était le Plutarque d’Amyot aux yeux de Montaigne

On n’en tirera pas ingénument la conclusion que toutes les traductions sont appelées à atteindre, on s’en doute, un rayonnement semblable ; mais que certaines y soient parvenu démontre en tout cas que la chose n’est pas inconcevable, tout comme il est possible de démontrer la possibilité de la marche en marchant

La retraduction comme espace de traduction

Le thème de cette intervention est : la retraduction comme espace de la traduction. Par « espace », il faut entendre ici espace d’accomplissement.

Par ailleurs — et c’est là une direction de pensée très différente comme aucune traduction ne peut prétendre être « la » traduction, la possibilité et la nécessité de la retraduction sont inscrites dans la structure même de l’acte de traduire

Il faut retraduire parce que les traductions vieillissent, et parce qu’aucune n’est la traduction : par où l’on voit que traduire est une activité soumise au temps, et une activité qui possède une temporalité propre : celle de la caducité et de l’inachèvement.

Et ces individus n’apparaissent que quand, par ailleurs, le temps de la traduction d’une œuvre est venu, ou revenu. Ce temps (re)vient lorsque, pour une culture, la traduction d’une œuvre devient vitale pour son être et son histoire. Naturellement, ce ne saurait être, là encore, qu’une retraduction. Car il faut que, de son côté, l’œuvre ait longuement mûri sa présence en nous, pour que la nécessité de sa retraduction apparaisse.

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